La sélection #8 — Emilie Lauriola

Photo : Talia Chetrit, Showcaller, livre sélectionné par Emilie Lauriola
 

Lorsque je rencontre Emilie Lauriola, elle vient de clôturer la quatrième édition de Rolling Paper, le festival dédié à la photographie indépendante qu’elle organise au BAL. C’est un après-midi pluvieux et l’atmosphère feutrée du café où je la retrouve constitue le cadre idéal pour se réfugier dans une conversation autour du livre photographique.

 Une page se tourne pour Emilie Lauriola. Après sept années en tant que responsable de la programmation et de la sélection livresque du BAL, elle se lance pleinement dans Sasori Books, son projet d’édition et de vente de livres rares, aboutissement de longues années de passion pour les livres et la photographie.

C’est en tant que journaliste musicale pour WOW Magazine qu’Emilie fait ses premiers pas, expérience qui l’amène à côtoyer des photographes de concerts, à qui elle consacre de nombreux portfolios. Elle rencontre notamment quelques américains, parmi eux Ryan McGinley et Patrick O’Dell, avec qui elle pénètre dans le monde de la photographie. Tandis que le magazine s’essouffle, elle rejoint la maison d’édition MER B&L dont la vision très puriste du livre d’artistes lui forme l’œil et enrichit ses connaissances techniques liées à l’édition. Avec MER, elle parcourt le monde au rythme des foires et se familiarise avec le monde du livre photographique.

Bien qu’elle collectionne des livres et magazines depuis l’enfance, c’est à ce moment-là qu’Emilie Lauriola commence à s’intéresser aux livres photographiques. Une passion qui finit par l’habiter entièrement et la décide à se consacrer à Sasori Books, où elle pourra « de créer [son] univers propre. » Outre son intérêt personnel pour les livres américains et japonais, Sasori books se concentre sur la culture alternative des années 60 et 70, ainsi que la scène musicale alternative, qui la ramène à ses premiers amours.

Le monde du livre rare s’est largement démocratisé avec le développement d’internet. Lorsqu’Emilie Lauriola l’a connu, le milieu du livre photographique était plus difficile d’accès. « Il y avait un côté plus underground et intimiste » évoque-t-elle avec une pointe de nostalgie. Cela ne l’empêche pas d’admirer le dynamisme de la scène des jeunes éditeurs, que ce soit pour leur travail de promotion des photographes contemporains dans des formats toujours plus expérimentaux ou l’excavation de quelques perles rares oubliées à travers la réédition. Elle pense par exemple aux éditions Daisy qui ont récemment publié les écrits de Patti Hill, une photographe peu connue à son époque et dont le travail commence tout juste d’être montré. Un de ses livres fait d’ailleurs partie de sa sélection, qu’il est temps de découvrir…

 

NOTES ON FUNDAMENTAL JOY — CARMEN WINANT

 

Je vends des livres depuis tellement d’années que je pense qu’il y a peu d’ouvrages contemporains dont je ne pourrais pas me séparer mais Notes on Fundamental Joy de l’artiste iconographe américaine Carmen Winant en fait certainement partie. Le livre présente une série d’images d’archive des Ovulars, qui étaient des ateliers de photographie organisés dans plusieurs communautés séparatistes féministes et lesbiennes des années 1980 aux Etats-Unis. J’ai tout de suite eu un rapport très proche à ce projet. En plus de documenter un mouvement aujourd’hui largement disparu, les images, traversées par un texte de Winant, souligne aussi la radicalité de ces femmes et leur désir de réinventer leur vie quotidienne en dehors de toutes normes sociales, dans un univers sans hommes.

Notes on fundamental joy, Printed Matter

 

SALOMÉ — TETSUYA ICHIMURA

 

La première fois que j’ai vu ce travail de Tetsuya Ichimura, c’était dans sa version originale en grand format mais c’est sous cette forme-ci que je le préfère : un ouvrage de poche sans prétention publié dans la série japonaise Holiday Graphics. La couverture et la série sont incroyables et inspirées de la tragédie de Salomé et des dessins qu’Aubrey Beardsley avait réalisés pour la pièce d’Oscar Wilde. J’aime l’érotisme tout en délicatesse d’Ichimura et j’ai d’ailleurs hésité entre montrer ce livre ou Come up, un autre ouvrage magnifique.

Salomé, Jitsugyo no Nihonsha

 
 

 « Je fais confiance aux jeunes artistes et photographes ainsi qu’à l’incroyable scène des petits éditeurs d’aujourd’hui, qui vont chercher des perles en rééditant des travaux inconnus à travers des formats différents. Toute cette expérimentation, je ne pense pas qu’elle va s’arrêter. »

– Emilie Lauriola

 
 

AN EXORCISM — PENNY SLINGER

 

An exorcism de l’artiste anglaise Penny Slinger est l’un des ouvrages les plus précieux de ma collection, qu’un ami antiquaire a fini par me trouver après pas mal de recherches. Je ne peux le décrire dans les grandes lignes que comme un ‘psychodrame gothique’ composé de collages surréalistes et psychédéliques, qu’elle a créé après un projet avorté de film qui s’était tourné dans un manoir abandonné. L’artiste se met en scène dans une série très cinématographique, avec des images chargées d’érotisme et de symbolisme. J’adore le livre parce qu’il réussit à être à la fois délicat et franchement barré pour l’époque.

An exorcism, Villiers Publications

 

SHOWCALLER — TALIA CHETRIT

 

L’opposé d’un ouvrage passéiste. Talia Chetrit mélange dans Showcaller des photos d’archive familiales, des autoportraits, des scènes de sexe et d’étranges natures mortes avec une tension continue. J’aime cet ouvrage pour le sentiment de contrôle assez perturbant que l’agencement de ces images très léchées parvient à créer chez le lecteur. A chaque fois que je regarde ce livre, j’ai l’impression de trouver de nouvelles clés de lecture.

Showcaller, Mack

 

SLAVE DAYS — PATI HILL

 

J’avais montré cet ouvrage dans une exposition sur le Xerox au BAL l’année passée. En utilisant la photocopieuse comme médium principal, l’artiste et poète Pati Hill, malheureusement assez peu reconnue de son vivant, a tissé un travail sur l’abnégation dans la vie domestique et l’amour à travers ses textes et ses photocopies d’objets du quotidien (ainsi que d’un cygne mort). J’aime la pauvreté du médium et la simplicité de la série qui exacerbent la violence silencieuse du travail.

Slave days, Kornblee

 

 

Un article écrit par Zoé Isle de Beauchaine • SiteInstagram

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