La sélection #4 — Kinuko Asano

Photo : Je t'aime - Je t'aime, Léo Berne, publié par Galerie Echo 119
 

Pour cette quatrième sélection, nous invitons la galerie et librairie photographie indépendante Écho 119 !

Dans ce petit espace caché au cœur du marais, vous y trouverez des artistes et des ouvrages de toutes générations et de toutes nationalités, même si le lien avec le Japon est ce qui fait leur particularité. La fondatrice de la galerie, Noëlle Colin, partage sa vie entre la France et le Japon, dont elle rapporte régulièrement des pépites dénichées aux quatre coins de l’archipel. Le lieu conçu comme est un espace polyvalent, où tirages et livres photos cohabitent et se répondent. Leur mot d’ordre : montrer et faire découvrir des démarches contemporaines, quelles que soient les époques auxquelles les photos ont été prises, le tout dans une atmosphère chaleureuse et détendue. L’équipe est 100% féminine et est à l’image de cet état d’esprit : cosmopolite, intergénérationnelle… et sympathique, en toute objectivité.

Kinuko Asano, photographe et directrice artistique de la galerie, souligne : « On attache beaucoup d’importance au lien humain avec nos artistes, nos collaborateurs et collaboratrices, nos client.e.s. On pense que la photographie, c’est avant tout une invitation à la discussion… et au thé, comme pourront en témoigner certain.e.s de nos visiteur.euse.s ! ».

De par leur lien particulier avec le Japon et parce que l’équipe a de forte affinités avec le livre photo, il est rapidement devenu un élément essentiel du lieu. D’ailleurs, comme le dit Kinuko : « les artistes japonais, avant même de réaliser des tirages d’expo, faisaient des tirages pour faire des livres ». C’est aussi pour ça que, quand elles peuvent se le permettre, ou quand un projet leur semble intéressant, elles produisent également des livres photos. Echo119 vient par exemple de publier le deuxième ouvrage de Léo Berne, Je t’aime - Je t’aime, après le premier (For the Aliens), réalisé en 2016.

« On ne se revendique pas éditeurs – il y a des éditeurs qui font merveilleusement bien leur travail et avec qui on adore travailler; mais de temps à autres, disons que l’on s’autorise ce petit plaisir de prendre le temps et de mettre les moyens pour soutenir certain.e.s de nos artistes de cette manière-là, en les accompagnant dans la globalité de leur démarche, et notamment en créant avec eux un livre. »

L’équipe de la galerie planche déjà sur un autre projet en ce moment. Cette fois-ci, avec la photographe japonaise Sakiko Nomura, exposée à la galerie en 2018 et dont le travail est montré régulièrement en foire et en librairie. La photographe a proposé de concevoir l’un de ses livres qui présente ses Polaroïds, en laissant carte blanche. Projet à suivre. La galerie Echo119 est apparemment un peu difficile à trouver au fond de cette cour parisienne, mais « ça se mérite ! On ne regrette pas d’avoir cherché en tout cas ! », selon un visiteur croisé récemment. Après cette présentation, place à la sélection !

 

LITTLE COMMENTARY — ELISO TSINTSABADZE & PAVEL FILKOV

 

Leur projet parle du décalage entre l’idée fantasmagorique du Grand Ouest Américain et la réalité des paysages contemporains. Leurs images interrogent le rôle de la photographie dans la construction puis la déconstruction des mythes. La particularité de ce petit portfolio en édition limitée ? Il permet de recréer une exposition at home. Tiré à 30 exemplaires signés, il contient un outil pour visualiser leurs 5 stéréographes en 3D, ainsi que 8 tirages qui recréent la sensation du Polaroïd au format original.

C’est un petit concentré de nostalgie, qui nous transporte à chaque fois dans l’émerveillement très simple que l’on avait, enfants. Immergés dans ces objets aux prémices de la 3D, pourtant si simples mais si magiques, on retrouve nos plus grands rêves de voyages dans l’intimité d’une petite fenêtre ouverte entre nos mains.

Little Commentary, Galerie Echo119

 

SHOKU — KISHIN SHINOYAMA  

 

On a découvert ce brillant, ce très (très) appétissant Shoku (“repas”), du photographe japonais Kishin Shinoyama, quand on a organisé, en 2019, une exposition de livres photographiques sur le thème de la nourriture.

 Surtout connu pour ses photographies de nus, Shinoyama a ici constitué une anthologie verticale de la nourriture japonaise, photographiant les textures et les couleurs comme il aurait photographié les corps. Il réussit ainsi à montrer la fine ligne qui existe entre ce besoin vital de se sustenter, et tout le désir (et l’érotisme qui l’accompagne) que la nourriture peut contenir. Construit en plusieurs chapitres regroupant les plats par catégories, la beauté du livre tient aussi dans un design et une qualité d’impression irréprochables. L’objet, lui-même soigneusement niché dans un écrin doré, joue dans la cour des grandes splendeurs et des grandes décadences. Sensations fortes garanties (et encore plus le ventre vide !).

Bref, c’est un véritable chef d’œuvre, qui restera très probablement encore un bon bout de temps dans le podium de notre top 5.

Shoku, Ushio Shupannsha

 
 

 « En occident, le livre photo a longtemps été considéré comme un simple catalogue d’expo, alors qu’il s’agit parfois d’un véritable parti pris pour montrer un travail. Pour nous, le livre est une œuvre à part entière ! »

– Kinuko Asano

 
 

JE T’AIME - JE T’AIME — LÉO BERNE

 

Je t'aime - Je t'aime est notre deuxième collaboration avec le photographe et réalisateur Léo Berne, que certains auront peut-être découverts lors du tout premier Vision !

Ce deuxième opus est un voyage photographique au cœur des dix dernières années de l’artiste, sous la forme d’une journée, de l’aube au crépuscule. C’est une véritable déclaration d’amour à ce et à ceux, connus ou inconnus, qui ont traversé et habité la vie de Léo Berne au cours de ces dernières années. Sa famille, ses amis, ses amours, les visages d’anonymes qui ont croisé son chemin, les lieux qu’il a visités, les scènes insolites de son quotidien, des bribes de ses voyages et enfin la lumière se dévoilent au fil des pages et du jour qui décline ou qui se lève. Le livre a la particularité de ne pas avoir de début ni de fin et de pouvoir se regarder dans un sens comme dans l’autre : on part dans tous les cas du début du jour pour finir (ou recommencer) au début du jour suivant.

 Le choix du titre est un clin d’œil au titre éponyme (Je t'aime, Je t'aime) du film d’Alain Resnais, dans lequel un homme coincé dans une machine à voyager dans le temps erre dans ses souvenirs. On espère que notre dernier né vous plaira !

Je t'aime - Je t'aime, Galerie Écho119

 

NEW YORK — KEIZO KITAJIMA

 

Choisir 5 livres uniquement, c’est difficile et il faut bien trouver des raisons de choisir un livre plutôt qu’un autre. Alors un peu en manque de voyages, on a décidé de mettre le cap sur New York ! Le livre du photographe japonais Keizo Kitajima (aujourd’hui devenu une rareté dans le monde du livre photo) nous transporte dans la folle vie de cette « ville qui ne dort jamais » du début des années 1980.

Le jeune Kitajima (qui a été l’élève de Daido Moriyama à la Workshop Photo School), intrigué par ce pays qui a si profondément changé le Japon dans la période de l’après-guerre, débarque aux États-Unis à la fin des années 1970. Il se plonge alors dans la jungle new-yorkaise et capture le rythme frénétique des rues et des night clubs, des stripteasers, des célébrités, des dépossédés et de tous ceux qui peuplent et qui font la ville. Les lumières crues, les forts contrastes des noirs et blancs, les cadrages et les choix d’association des images que fait Kitajima mettent en avant le tumulte assourdissant de la ville, où décadence, misère, désir, violence et mélancolie semblent en permanence se croiser, s’opposer et s’embrasser. Il a reçu pour ce travail le prestigieux prix Ihei Kimura en 1983.

New York, Byakuya Shobo

 

TASTE OF HONEY — HAJIME SAWATARI

 

Dans la catégorie des livres (très subjectivement) les mieux imprimés, on aimerait vous présenter Taste of Honey (Le Goût du Miel), de Hajime Sawatari.

Publié en 1986, ce livre grand format associe plusieurs séries du photographe japonais Sawatari. Il mêle des portraits – de mode comme des clichés qui semblent pris sur le vif –  à des natures mortes de fruits. La séquence, subtile mais bien pensée, nous fait tout naturellement passer de la courbe d’une fesse à celle d’une poire magnifiquement sensuelle, puis d’un visage à la rondeur d’une figue.

Dans sa préface, l’artiste explique le choix du titre de son livre. Il y décrit la douceur et le sucré de la première goutte de miel, qui pour lui ressemble aux premiers émois amoureux. La légère amertume qui suit et qui reste en bouche est elle associée à son angoisse de la possible rupture qui viendrait briser la douceur de ces premières émotions. Ce texte (qu’on trouve particulièrement touchant) où le photographe dévoile ses peurs, ainsi que ses images et la qualité du livre, s’unissent ici pour former un objet doucement sensuel où érotisme du corps et de la nourriture se confondent.

Taste of Honey, publié par IPC

 

Un article écrit par Aliocha Boi • Instagram

Précédent
Précédent

La sélection #5 — Aurélie Lacouchie

Suivant
Suivant

La sélection #3 — Tony Cederteg